Plagiat et contrefaçon

Le plagiat, vol de mots, prend en droit le nom de contrefaçon. Renouard, dans son Traité des droits d’auteur dans la littérature, les sciences et les arts (1838), précise que « le plagiat, tout répréhensible qu’il soit, ne tombe pas sous le coup de la loi, il ne motive légalement aucune action judiciaire que s’il devient assez grave pour changer de nom et encourir celui de contrefaçon. »

La contrefaçon est donc l’appellation juridique du plagiat, sa version condamnable. A ce titre, elle constitue un délit. L’article 335-3 du Code de la propriété intellectuelle en précise la nature : il s’agit de « toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits d’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi. » Elle est susceptible de donner lieu à des sanctions civiles et pénales. Au contraire, comme le dit R. Plaisant dans Le Droit d’auteur, « le plagiat habile est moralement coupable mais juridiquement irréprochable. »

Il est souvent délicat de distinguer entre ces deux notions. Le juge s’y applique pour décider finalement du caractère licite ou non de l’emprunt. Les critères d’appréciation sont de plusieurs ordres. Nous les présentons dans les informations juridiques :

le juge distingue entre les emprunts concernant les idées –qui ne sont pas condamnables- et les emprunts -condamnables- concernant la forme sous laquelle sont présentées les idées, à savoir l’expression et la composition.

S’agissant de l’expression et de la composition, le juge prend en compte l’importance quantitative de l’emprunt. Cela dit, un emprunt formel, même de faible étendue, peut être jugé illicite, s’il porte sur un élément caractéristique de l’œuvre plagiée. Un élément est dit caractéristique, s’il est marqué par la personnalité de l’auteur et s’il apparaît comme vraiment original. Dans ce cas, il est protégé par la loi. Ce peut être le cas d’une scène de roman, particulièrement inattendue et originale ou d’une formule (un titre d’ouvrage) très caractéristique. Par contre, un emprunt, même important sur le plan quantitatif, peut être autorisé. Dans une biographie par exemple, un auteur est autorisé à reprendre la même composition chronologique qu’un autre ouvrage sur le même sujet, car elle découle du sujet même, elle est dite « fonctionnelle « , sans originalité aucune. De même, certaines expressions « fonctionnelles » peuvent être librement recopiées d’un ouvrage à l’autre, lorsqu’elles s’imposent par le thème ou le contexte présentés.

En revanche, le juge n’est pas dupe d’un recopiage habile, comportant des variantes non significatives et uniquement destinées à masquer le délit. La loi ne protège donc pas seulement l’expression littérale. La transposition directe (sans aucune transformation de l’original) n’est pas la seule à être interdite. L’emprunt indirect peut lui aussi faire l’objet d’une condamnation.

Il faut toujours aussi s’interroger sur le caractère intentionnel de l’emprunt, même s’il relève apparemment de la contrefaçon. En ce sens, le juge tient compte des mouvements de mode, des coïncidences, de l’utilisation de sources communes due à l’assimilation par deux auteurs différents d’une culture commune, d’ouvrages fréquentés par une même génération.

De plus, le juge ou le critique littéraire s’intéressent à la manière dont l’auteur insère l’emprunt dans son œuvre : l’a-t-il clairement signalé comme émanant d’un autre auteur (des guillemets pour la citation, une indication plus ou moins codée pour le pastiche, la précision du nom de l’auteur pour la référence ou pour l’hommage) ou, au contraire, l’emprunt est-il occulté, habilement présenté comme émanant de l’auteur lui-même ?

Enfin, il faut s’interroger sur l’importance à accorder à l’ensemble du corpus dans lequel s’intègre l’emprunt : par principe, la réglementation française est a priori très protectrice, puisqu’elle interdit simplement d’en tenir compte. Un recopiage, même s’il s’intègre dans un ensemble beaucoup plus vaste et lui-même doté d’une certaine originalité, est illicite. Le juge, en effet, se doit d’apprécier la contrefaçon d’après les ressemblances avec l’œuvre plagiée et non d’après les différences. En droit, il convient d’apprécier la contrefaçon de manière absolue et non relative (en relation avec le contexte). En réalité, ce principe est fréquemment contourné par les tribunaux qui tiennent compte de « l’environnement » de l’emprunt. La tolérance est de mise, lorsque l’auteur mis en cause sait, dans le reste de son ouvrage, créer un univers personnel qui se démarque nettement de l’œuvre dont il s’est inspiré.